Interview avec Enzo Balanger : "Très satisfait de ma performance au Mondial de Moth en Nouvelle-Zélande"
- afarenyuk
- 24 mai
- 9 min de lecture
Le navigateur français Enzo Balanger a brillé lors du Championnat du Monde de Moth 2024 à Manly, en Nouvelle-Zélande qui a eu lieu en janvier 2025. Après avoir remporté la Foiling Week en 2023 et 2024, il termine à une impressionnante 6ème place au classement mondial. Rencontre avec un marin talentueux et ambitieux.
Tu termines 6ème au Mondial après deux victoires à la Foiling Week. Es-tu satisfait de ce résultat ?
Enzo : Oui, je suis super content de cette place et globalement de ma saison. Remporter à nouveau la Foiling Week et le titre de champion de France était déjà une belle performance, mais ce Mondial était un challenge complètement différent. Manly est un plan d’eau qui demande des compétences spécifiques. J’ai eu la chance de m’entraîner un mois en avance, mais il aurait probablement fallu plus de temps pour viser encore plus haut. Les Kiwis étaient très forts, donc je suis satisfait de ma performance.
Les jeunes ont dominé ce Mondial, occupant les 7 premières places du classement. Comment expliques-tu cette tendance ?
Enzo : C’est vrai qu’on voit beaucoup de jeunes devant dans ce classement ! Je pense que la flotte était plus dense que jamais. C'était probablement l’une des régates de Moth avec le plus haut niveau. Peut-être que les jeunes ont eu plus d’opportunités d’entraînement que les seniors, ce qui leur a permis de mieux se préparer.
Chaque plan d’eau a ses particularités. Peux-tu nous en dire plus sur les conditions que vous avez rencontrées pendant ta préparation, le pré-Mondial et le Mondial ? Quelles étaient les clés du succès ?
Enzo : Chaque plan d'eau a ses spécificités, et Manly ne faisait pas exception. C'était un plan d’eau très particulier avec deux types de vents bien distincts. Le premier, venant du sud-ouest, était assez fort, offshore, très instable, avec une mer relativement plate mais un léger clapot au fond du parcours. Le second, un vent de nord-est, était une brise thermique plus légère, mais accompagnée d’une mer beaucoup plus formée.
Pendant le Mondial, à l’exception du dernier jour où nous avons eu du nord-est, nous avons principalement navigué sous un vent de sud-ouest soutenu. La clé de la réussite résidait dans la bonne lecture du vent, la compréhension de son fonctionnement sur le plan d’eau et la capacité à exploiter au mieux les bascules. C’était une régate où il ne fallait pas hésiter à virer pour se repositionner stratégiquement. Cela demandait une maîtrise technique parfaite du bateau, notamment pour réussir les virements avec le vent entre 6 et 25 nœuds.
Quelle a été ta stratégie et tes priorités pendant les courses ? As-tu pu suivre ton plan à la lettre, ou as-tu dû t'adapter ? Par exemple, lors du premier jour avec des conditions de vent très fort, as-tu privilégié la sécurité pour éviter les erreurs, ou as-tu pris des risques en te lançant à fond ?
Enzo : En voile, il est rare de pouvoir exécuter son plan à la perfection. Ce Mondial était particulièrement exigeant avec des vents forts et une flotte très dense. Il fallait trouver le bon équilibre entre la prise de risque et la sécurité. J’ai eu des manches où j’ai voulu pousser un peu trop et je me suis retrouvé piégé par des concurrents qui chutaient devant moi, m’obligeant à crasher à mon tour. Une autre fois, j’ai cassé ma sangle de rappel, ce qui m’a coûté cher en points. Mais globalement, il fallait oser prendre des risques pour rester aux avant-postes.
Le premier jour de Gold Fleet a été difficile pour toi. Une belle troisième place et ensuite 18, 19, 35. Que s’est-il passé ?
Enzo : Effectivement, c’était ma pire journée. Les conditions étaient très compliquées, avec un vent instable. J’ai sauvé les meubles avec une belle 3ème place, mais ensuite, j’ai enchaîné plusieurs contre-performances. Dans une flotte aussi dense, si on ne réalise pas un bord parfait, on sort vite du top 10. J’ai voulu trop pousser pour remonter, et au final, j'ai fini par crasher, ce qui a résulté en mes deux mauvaises manches. Cela revient à ce qu'on disait plus tôt sur la gestion de la prise de risque. Ce jour-là, je n'ai pas su bien gérer la situation. J'ai tenté de prendre trop de risques pour revenir dans le jeu, mais au final, ça m'a coûté cher.
Le deuxième jour de gold fleet en revanche, tu as eu de bons résultats, surtout avec la victoire dans une manche. Tu as fait une bonne analyse de la journée précédente et apporté des corrections à ta stratégie, à ton approche ?
Enzo : Le jour de la finale, on a eu des conditions complètement différentes : vent léger de nord-est, entre 6 et 10 nœuds. Ça m'a permis de repartir sur de bonnes bases, de faire un reset et d'attaquer à fond pour remonter au classement. Et donc, j’ai réalisé une très belle journée avec une victoire dans une manche. À la fin, je suis content de ma sixième place au classement, avec une victoire en qualification et une autre en finale.
Je suis très satisfait, car cela montre que, comme à la Foiling Week, je peux vraiment gagner des manches lorsque je fais la manche parfaite. Cela m'a motivé énormément pour le prochain Mondial. D'ailleurs, je suis déjà à fond, les yeux rivés sur Garda.
Les vitesses atteintes pendant ce Mondial étaient impressionnantes : moyenne sur 10 secondes de Jacob Pye à 36.4 nœuds, et de Diego Botin à 33.8 nœuds. C’était exceptionnel ou ces chiffres deviennent-ils habituels pour d’autres mothards également ?
Enzo : On a effectivement vu des vitesses record. C’est en grande partie parce que nous avons régaté dans des vents plus forts que d’habitude. Personnellement, avant Manly, ma vitesse maximale était de 32,5 - 33 nœuds, et là, j’ai atteint 36 nœuds en course. Ce n’est pas encore la norme, mais cela montre les progrès constants de la classe."
J’imagine que la barre de la vitesse a remonté au fil du temps grâce aux développements des foils et de la plateforme. Mais est-ce qu’il y a aussi un aspect lié à l’évolution des sportifs eux-mêmes, qui repoussent les limites et adaptent constamment leur manière de naviguer le bateau ?
Enzo : Les gains viennent surtout des marins qui repoussent leurs limites, plus que du matériel. Par exemple, celui qui a atteint la vitesse de presque 39 nœuds était sur des foils de la génération précédente et sur le Bieker v2. Cela montre que la technique et l’entraînement font une grande différence.
On voit bien que la technique change avec le temps. Par exemple, je me souviens avoir regardé le master class de Paul Goodisson et Ian Jensen pendant le Mondial 2018 où ils disaient que pour commencer un foiling tack, le bateau doit être à plat. Ce n’est plus le cas maintenant, on veut qu’il soit légèrement contre-gité. Quelles nouveautés dans la technique as-tu découvert pendant ce dernier Mondial ?
Enzo : Oui, c'est une bonne question. La technique évolue en fonction du bateau qu’on a entre les mains. Les Exocets de l’époque étaient un peu différents de ce qu'on utilise aujourd'hui. Les bateaux modernes nous permettent d’effectuer des manœuvres avec une contre-gîte maîtrisée, une vitesse minimale (bottom speed) optimisée. Mais en réalité, c’est à nous, les marins, de nous adapter aux bateaux que nous avons. Chaque bateau a ses spécificités, et il est crucial que chacun soit conscient des points forts et des points faibles de son matériel. L’objectif n’est pas de simplement copier ce que font les autres, car leur équipement n'est pas le même. Il faut ajuster sa technique en fonction de ce que l'on a entre les mains.
La dominance du Bieker V3 a été flagrante durant ce Mondial. Tu navigues toi aussi sur ce modèle. Peux-tu évaluer le gain de performance entre le V3 et le V2 ? Est-ce une différence de 2-3 % ou est-ce plus marqué ? Selon toi, qu’est-ce qui rend le V3 plus rapide ? Ou peut-être, est-ce moins la vitesse brute et plus la facilité de navigation qui fait la différence ?
Enzo : Effectivement, il y a eu une nette dominance des Bieker V3 pendant ce Mondial. Cela s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y avait peu de propriétaires de l’Aerocet présents, car les équipes anglaises étaient occupées à développer leur matériel pour le Mondial au Lac de Garde. Ainsi, les meilleurs marins étaient principalement sur le Bieker V3.
Cela dit, certains compétiteurs étaient sur des V2 et ont rivalisé avec les V3 sans problème. Il est donc difficile de quantifier précisément le gain. Cependant, je dirais qu’il y a des améliorations sur plusieurs aspects. Le V3 se distingue particulièrement pour les gabarits légers, avec des ailes qui permettent de prendre un peu plus d'angle et facilitent le rappel. Mais ces gains varient selon les conditions et les marins. C’est donc une question de gestion des éléments, plutôt que de chiffres exacts sur la performance pure.
Lors du Mondial, on a vu Matthias Coutts naviguer avec un foil vertical très fin. Est-ce qu’il y avait d’autres participants avec des foils similaires ? Et ses autres foils étaient-ils aussi non standards ?
Enzo : C’était le premier Mondial avec des foils verticaux en métal, ce qui a permis de réduire la traînée. Matthias a poussé cette technologie encore plus loin en utilisant un foil avec une corde similaire à la nôtre, mais légèrement plus avancé. Quant à moi, j’étais équipé de foils Mackay. Matthias est le seul à avoir utilisé un foil custom, mais il n’a pas couru toute la régate avec. Il a également navigué avec des foils standards, ce qui ne l’a pas empêché de remporter ces manches, donc on peut dire que le matériel, bien qu’innovant, n’a pas fait toute la différence.
Il a été communiqué que la classe internationale pourrait limiter l’utilisation du métal dans les foils pour éviter une trop grande disparité entre les participants et ne pas faire exploser les coûts. Quel est ton avis à ce sujet ? T’es-tu senti désavantagé par rapport à Matthias Coutts ?
Enzo : À l’heure actuelle, nous n’avons pas de détails supplémentaires, et honnêtement, je n’ai pas encore d’opinion définitive sur cette question. Ce que j’espère, c’est que nous aurons des informations rapidement, car le prochain Mondial est dans six mois, et il est important de savoir comment se préparer en fonction de ces nouvelles règles.
(NB: cette entretien a eu lieu avant la décision de la classe internationale de ne pas bannir les foils en métal)
Ton prochain objectif est le Mondial de Moth au Lac de Garde ?
Enzo : Le Lac de Garde en 2025 est mon objectif principal. Je vais m’assurer que toutes les conditions sont réunies pour performer au Mondial dans six mois. Je fais également partie de l’équipe française pour la saison 5 de SailGP, donc entre les étapes, je serai au Lac de Garde pour m’entraîner intensivement. Ce Mondial est très important pour moi car je pense qu’il va s'agir de l’un des plus grands événements de l’histoire de la classe Moth. De nombreux jeunes talentueux, qui naviguent déjà à un niveau très élevé, seront présents, et il y aura aussi le retour de grands noms comme Tom Slingsby, Dylan Fletcher, et Giles Scott. Ce sera un Mondial exceptionnel, et je compte bien figurer parmi les leaders.
J’ai remarqué que de nombreux compétiteurs de haut niveau sont arrivés un mois avant le Mondial à Manly. Est-ce une nouvelle norme ou est-ce un cas exceptionnel ? Peux-tu nous en dire plus sur ce mois d’entraînement ? N’est-ce pas trop épuisant physiquement et mentalement ?
Enzo : Il y a effectivement eu pas mal de marins qui sont arrivés un mois avant la compétition. Je pense que cela est aussi dû à la distance, car en Nouvelle-Zélande, c’est un long voyage, donc il vaut mieux arriver tôt pour s’acclimater. Ce mois avant la régate permet de tester le matériel, d’adapter les réglages et de bien comprendre les spécificités du plan d’eau et du vent.
Est-ce que cela va devenir une norme ? Je ne sais pas. Je pense que l’essentiel est que chaque marin s’entraîne à la maison et vienne au Mondial en étant bien préparé. L’important est de prendre du plaisir et de participer à des événements comme celui-ci qui mélangent amateurs et professionnels. C’est vraiment une chance unique que la classe Moth nous offre, et cette diversité des niveaux de compétence crée une ambiance exceptionnelle.
Un conseil pour les mothards français qui veulent progresser ?
Enzo : Le conseil que je donnerais à tous les Mothards français, c’est de passer un maximum de temps sur l’eau. C’est la clé pour progresser. Plus vous naviguez, plus vous apprenez. Chacun doit comprendre comment son bateau fonctionne, sans chercher à copier les autres. Les bateaux sont tous différents, et il est important de tirer le meilleur parti de sa propre machine. En plus, il faut absolument participer aux régates, que ce soit en France ou à l’international. Même si on n’a pas la vitesse pour rivaliser avec les meilleurs, ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est d’apprendre, de regarder les plus forts, et de progresser en observant ce qui se passe ailleurs. C’est une classe où l’esprit de camaraderie est vraiment présent, et les gens sont extrêmement sympas. Il y a de vrais échanges intéressants qui se font après les manches, notamment sur les parkings, où tout le monde partage ses expériences et ses conseils. C’est ce qui rend cette communauté encore plus enrichissante.
Commentaires